PROLOGUE

Retrouvez toutes les nouvelles dans un recueil au format papier sur tous les stands de Célia, en salons et dédicaces.

LIVRET : 7€

Photos de Matthew Pearce

JE SUIS INVISIBLE

Je suis invisible.

Seulement quand on ne me regarde pas.

Ouais, marrez-vous. Allez-y, j’ai l’habitude. Vous savez d’où je tiens cette idée ? D’un vieux film qui est passé sur une chaîne obscure, là… je ne me souviens même plus de laquelle. Ça n’a pas d’importance. Donc le mec, c’est un super héros raté, le genre looser. Il se prend pour un caïd, sauf qu’il est rien. Il passe son temps à dire à qui veut l’entendre qu’il a un super pouvoir : celui d’être invisible quand personne ne le regarde. Hilarant, hein ? Sur le coup, j’ai trouvé ça débile aussi – je vous épargne, tout le film est dans cette veine – puis j’ai réfléchi. Et je me suis reconnu. Complètement. C’était toute l’histoire de ma vie. Je suis invisible, parce qu’on ne me regarde pas.

Ne vous emballez pas non plus. Je ne demande pas à être une méga star dans mon bahut, même si, ok, j’aimerais bien, juste une journée, être le type à fréquenter, celui auquel les filles viennent se coller pour faire des selfies avant de les poster sur insta. Je pourrais faire semblant de trouver ça cool et fun. Alors que c’est surtout pathétique, non ? Je veux dire, on s’en balance de ce que t’as bouffé à midi, si c’était dégueulasse à la cantine, si avec la bouche en cul de canard t’as des lèvres pulpeuses ou que la lumière te fait des gros pecs. Non, ouais. On s’en fout grave. Disons que si j’avais plus de followers, j’aurais l’impression d’avoir une vie qui vaut la peine que je me lève tous les matins pour aller en cours et m’avaler ma dose d’ennui quotidien aussi plomb que mon avenir.

Allez, ça y est.

Vous vous dites que j’ai sûrement un problème pour parler comme ça. Que je suis dépressif, que mes parents sont divorcés, que ma mémé est malade ou que mon petit frère est handicapé. Ce serait une chouette excuse, pas vrai ? Eh bien non. Mes parents vont bien, ma mémé et mon petit frère aussi. Ils m’adorent, même. Ils m’aiment plus que moi je ne m’aime. Je n’ai pas un physique ingrat non plus, je vous arrête tout de suite. Je suis plutôt mince, grand, je n’ai rien du type qui a une particularité qui justifierait d’être l’objet de toutes les moqueries.

Je vous l’ai dit.

Je suis invisible.

Je suis certain que si vous demandez à tous les gars de ma classe comment je m’appelle, ils vont devoir réfléchir. Certains ne se souviendront même pas. D’autres vous le jetteront avec un petit sourire en coin qui signifie « oh lui, c’est l’idiot du village. Il nous en faut bien un ». Mais ils vous diront juste « il est gentil ». Ça, c’est la formule toute faite pour ne pas passer pour une langue de pute. Sauf qu’on sait tous ce qu’il y a derrière.

On résume : je n’ai pas le physique d’un athlète, je ne brille pas par mon intelligence et je n’ai pas d’aptitudes populaires. Brun, les yeux marron, un visage inexpressif passe-partout. Mes profs doivent réfléchir avant d’écrire une évaluation sur mes bulletins pour se rappeler qui je suis. Je ne suis pas le genre à mettre le bazar dans leur classe, et je n’ai pas des notes dignes d’un futur Einstein. Rien pour me distinguer. Le prof d’éducation physique se souvient que j’existe uniquement quand il doit constituer une équipe pour les sports collectifs. Il en manque toujours un, ou il y en a un en trop. C’est moi. Il fronce les sourcils, grommelle, marmonne un truc comme « ça m’arrange pas, ça ». Je n’arrange personne, non. Alors c’est aussi bien que je sois invisible.

 

(La suite dans « Prologue »)

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