APOLOGUE

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LIVRET RELIE

Photos de Matthew Pearce

UNE DERNIÈRE VOLONTÉ

Tom jeta un coup d’œil par-dessus son épaule une dernière fois. Il était nerveux. Clément, son fils de treize ans, le sentait sans qu’il ait besoin de le formuler. Il retournait à son père des regards inquiets. Tom ébouriffa les cheveux en bataille, se contraint à lui offrir un sourire confiant, puis frappa doucement à la porte de la maison. Il retint son geste, comme s’il craignait de réveiller tout le bourg. Le soleil n’était pas levé, même si l’horizon se teintait de pourpre et d’ambre annonçant sa venue. Les monts du cantal étaient encore plongés dans le sommeil. Au loin, on distinguait leurs silhouettes formidables qui se découpaient en ombre chinoise sur les cieux endormis.

Bruno leur ouvrit, les invitant à rejoindre les autres dans son salon. Ils n’étaient pas les seuls habitants de Vézac sur pieds dès matines. La pièce pourtant immense était pleine. Tom reconnut ses voisins, le maire, le pharmacien, des figures emblématiques de leur petit village. D’autres dont il ne connaissait pas les visages avaient fait le déplacement. Il supposait que ceux aux rides aussi profondes que des fossés, les yeux caves soulignés par des aplats noirs dignes d’un Caravage, la bouche scellée sur leur souffrance, ceux-là oui, venaient de Yolet. Du moins, ce qu’il en restait.

Cette petite commune, de l’autre côté de la Cère, se situait à moins de cinq kilomètres d’ici. À l’écart de Vézac, sa ferme à lui était encore plus proche. Tom avait été le premier témoin des terribles évènements qui avaient décimé le bourg, poussant les rescapés à se réfugier aux alentours.

Ils avaient pris du temps à réagir. Il leur avait fallu imaginer l’inimaginable, malgré les preuves, qu’un étranger use des mots sur ce que leur esprit se refusait à admettre. Le maire plus que les autres. Il ne s’était rangé à l’avis collectif que lorsqu’il avait convenu qu’il n’avait plus le choix. Vézac pouvait bien être la prochaine victime de ce fléau. Ils devaient tout mettre en œuvre pour l’éviter. Tout essayer. Y compris le plus improbable.

Bruno offrit une chaise à Tom. Il s’y installa, proposa à son fils de s’asseoir sur l’un de ses genoux. Les places étaient rares. Il n’y avait rien à boire, rien à manger. Personne n’en avait le cœur de toute manière et n’en tenait rigueur à leur hôte.

− Tout le monde est là, dit Bruno d’une voix lugubre qui brisa le silence.

Le maire hocha subrepticement la tête, se leva, se positionnant au centre du cercle formé par les visiteurs.

− Merci à tous d’être venus, entama-t-il.

Ses cheveux blancs, son expression grave, naturelle chez lui, lui conféraient cette autorité qui sied aux hommes publics. Il était assez apprécié dans l’ensemble, en dehors de quelques-unes de ses décisions qui avaient fait l’objet de récriminations sans jamais s’envenimer en franche opposition. Dans les moments de doute, quand la peur s’installe dans les foyers, on mesure la valeur de l’élu. Monsieur le bourgmestre s’était montré digne de son mandat.

− Cela fait quatre jours que nous sommes sans nouvelles de monsieur Donnadieu, dit-il en tournant les yeux vers un adolescent discret, en marge du groupe d’auditeurs debout dans l’ombre, le regard fixe.

Un escogriffe dégingandé de tout juste seize ans, parmi eux uniquement parce que Donnadieu n’avait pas souhaité qu’il l’accompagnât. Pas cette fois. Trop dangereux, avait-il argué. Le garçon s’en était offusqué, la colère à fleur de peau, pour autant, son mentor n’avait pas cédé. Rongeant son frein, il était donc resté à Vezac.

Si les mots prononcés le transperçaient comme autant de lames acérées, il n’en laissait rien paraître.

– Hier matin, reprit le maire, monsieur Hubert, son associé, est revenu chez Tom, très affaibli, blessé, dit-il en tournant les yeux vers le fermier.

Il était bien en dessous de la vérité. Tom ne l’interrompit pas. Donner plus de détails aurait été inutile. Tous ici savaient que son retour, en soi, était déjà un miracle. Ils s’imaginaient sans peine l’état dans lequel le pauvre bougre avait dû être trouvé. Ils avaient encore frais dans leur mémoire les images des cadavres mutilés qui jalonnaient la campagne. Sans compter les disparitions.

− Nous avons fait venir le docteur Prégond qui…

Il ne put achever. Bruno se leva à son tour et prit la suite, laissant le temps à l’homme de se ressaisir.

− Nous l’enterrerons demain. Nous lui offrirons une sépulture digne dans notre cimetière. Vous êtes tous conviés bien sûr. Monsieur le curé fera le déplacement pour l’occasion.

− Va-t-il rester, cette fois ? demanda le père Menat d’un ton bourru.

− Il ne nous a rien dit, mais j’en doute. Le diocèse ne lui a toujours pas donné de réponse.

− Foutaises ! rétorqua le vieux. Il est mort de trouille, oui ! Tu parles d’un homme de Dieu !

Les Bresson, un jeune couple originaire d’Aurillac, installé depuis deux ans sur la commune, échangèrent des murmures sarcastiques, sans partager leurs commentaires.

– Et le préfet, hein ? reprit l’ancien. Ca, pour venir manger du saucisson et boire son rouge à la fête des moissons, il est là ! Pour nous aider, on le voit plus ! Quand est-ce qu’il nous envoie l’armée ?

L’élu ouvrit les mains, démuni.

– J’ai rempli tout un dossier de demande d’intervention spéciale. La préfecture en a accusé réception avant-hier. Au téléphone, le préfet m’a assuré prendre la mesure de notre situation et faire de son mieux afin d’intervenir au plus vite. Néanmoins, il estime la gendarmerie tout à fait compétente à mener l’enquête. Il leur accorde toute sa confiance.

La consternation face au charabia politique qu’il leur retranscrivait au mot près les laissa pantois. Ils se sentirent abandonnés à leur sort, définitivement. « Crevard ! » lança le vieux.

Il poursuivit, éludant l’insulte qui ne lui était pas destinée.

− Il va nous falloir faire des choix difficiles.

Il inspira profondément avant de lâcher :

− Monsieur Donnadieu a été pris. Nous pensons toutefois qu’il serait retenu dans leur repère.

(La suite dans « Apologue »)

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